Retour sur un article très intéressant du numéro de septembre 2009 de Science et Vie, consacré aux tours. Ou comment le « green bashing » s’applique sans grand ménagement à l’architecture, en faisant prendre des vessies pour des lanternes.
Premier constat, à l’occasion de l’inauguration de la tour Granite à la Défense en décembre 2008. Cet immeuble de 184m de haut, dernier né des tours de bureau du centre d’affaires, s’enorgueillit d’une certification de haute qualité environnementale « NF bâtiments tertiaires – démarche HQE ». Or, après examen des études thermiques évaluées par les concepteurs, il s’avère que la consommation du bâtiment (chauffage, climatisation, éclairage, ascenseurs) atteindra 191 kWh/m²/an. C’est évidemment beaucoup moins que les 400 kWh/m²/an généralement observés pour les tours de bureaux des générations précédents, mais c’est très loin de l’objectif parisien du plan climat (50 KWh/m²/an).
Deuxième constat, sur la base de données chiffrées recueillis par le bureau d’études Enertech à propos de plusieurs opérations en Europe, la tour Post Tower (162m) à Bonn, livrée en 2002 et réputée pour être un modèle du genre, consomme en réalité 228 kWh/m²/an, alors que les modélisations informatiques au moment de la construction prévoyait 137 kWh/m²/an. Olivier Sidler, d’Enertech, précise dans le dossier de Sciences et Vie que « cet écart entre théorie et mesures de terrain ne nous a pas étonnés. Il y a toujours une différence notoire entre ce que les concepteurs prévoient et les chiffres réels. Dans le cas du chauffage, par exemple, tous les calculs sont établis avec une température réglementaire de 19°C. Cette température n’est évidemment jamais appliquée dans les bureaux, parce que les gens ont pris l’habitude de travailler dans des pièces chauffées à 22 ou 23°C. » On se rappellera peut-être que la Post Tower a été évoquée par l’agence Herzog et Demeuron lors des ateliers participatifs sur la tour Triangle comme un exemple de ce qui est réalisable…
Troisième constat, l’architecture usuelle des tours rend très compliquée, sinon impossible, d’atteindre des performances énergétiques satisfaisantes : grandes surfaces vitrées, ventilation complexe, besoins spécifiques liées à la hauteur (ascenseurs), tout cela concourt à une consommation structurellement élevée. Au contraire, pour Daniel Vaniche, architecte chez DVVD, le seul obstacle est le coût. « Il faut bien se figurer que les tours vertes restent pour l’instant des prototypes qui n’ont que peu d’années d’existence, alors que les immeubles de bureau sont des standards qui ont 30 ou 40 ans ». Selon lui, « il n’y a aucune complexité structurelle ou technique à rendre ces bâtiments vraiment verts ».
Pour Olivier Sidler, en revanche, même trois fois plus performantes, les tours n’atteindront pas les exigences réglementaires issues du Grenelle de l’Environnement. Le coût est un argument des plus sérieux (cf. l’article de Jean-Michel ROUX publié sur le site contre-les-tours) et penser qu’il suffit d’aligner des zéros sur un chéquier est une autre forme de pensée contra-écologiste : autant allouer la ressource à d’autres projets plus performants et plus grands, car moins chers au m², et satisfaire ainsi davantage de besoins. Cela dévoile sans aucun doute que l’acharnement à réaliser des tours a trait à quelque chose de plus profond, comme une volonté de dépassement et de transgression, que visiblement, la raison ne permet pas de guérir.